Pour une fois, j'ai battu le fer tant qu'il était chaud. Comme je viens de lire le premier tome de ce diptyque, j'ai acheté le second dans la foulée, et je l'ai lu aussitôt. C'était le meilleur moyen d'avoir l'histoire bien en tête.
Cette seconde partie est la suite directe de la première. On retourne donc à New Fraternity, cette communauté fondée par un riche utopiste qui rêve qu'hommes et femmes de toutes races puissent vivre paisiblement ensemble, en partageant le fruit de leur travail. On a pu voir dans le précédent opus que ce rêve s'est petit à petit effiloché, et que les temps difficiles que vivent les villageois ont eu raison de leurs idéaux. De plus ils ont mis la main sur la bête immonde qui hantait les forêts environnantes, celle-là même qui semble étrangement liée à Emile, l'enfant sauvage recueilli quelques années auparavant. McCorman, le fondateur de la communauté, étant malade et très affaibli, les complots ourdissent dans l'ombre, et certains ont décidé qu'il était temps de reprendre leur destin en main. Quelques uns pensent qu'il faut suivre la voix de Dieu, qui doit forcément leur avoir envoyé la Bête pour les soumettre à une épreuve. D'autres pensent qu'il n'est plus possible de travailler pour nourrir les autres, plus feignants qu'eux. D'autres encore décident qu'il faut renvoyer les déserteurs de la communauté... Le retour d'Alexander Laffite va achever de ternir le tableau, lui dont est éprise la belle et convoitée Fanny, au grand malheur de Josiah, qui va alors s'engager définitivement sur la mauvaise voie... Les tensions montent, les caractères s'affirment, les relations s'enveniment, jusqu'à un climax sanglant, lorsque la bête se libère et se déchaîne au cœur de la communauté...
Comment attendu, ce second tome est celui de l'explosion. Là où le premier posait l'ambiance (trop ?) tranquillement, celui-ci s'accélère (trop ?) et passe aux choses sérieuses. Il aurait à mon avis fallu un meilleur équilibre réparti sur les deux tomes. Car le résultat, c'est que le second se lit en à peine plus d'un quart d'heure.
Je suis persuadé que cette BD gagnerait à être réunie en un seul volume. C'est purement psychologique, puisque lorsqu'on a les deux, on peut les enchaîner, mais je trouve que pour ceux qui ont dû attendre entre la lecture du tome 1 et du tome 2, cette conclusion vitesse grand V a dû être un peu frustrante. Malgré tout, l'ensemble forme une histoire cohérente, mais surtout intrigante avec cette fin ouverte, qui à coup sûr en énervera plus d'un.
[attention, importants spoilers dans la partie en italique]
La grande réussite de l'album est surtout les interrogations que suscite la bête. On ne sait pas d'où elle vient, ni quel est son lien avec Emile, et au final on referme le livre 2 sans le savoir. Cela renforce son côté symbolique, et on se surprend, après avoir fini cette histoire, à essayer d'en comprendre la signification. A défaut de trouver une explication simple, on peut au moins remarquer que c'est lorsqu'elle fait irruption dans le village que la communauté vit ses derniers instants. J'ai comme l'impression qu'elle matérialise en quelque sorte la part sombre de l'Homme, qui a été mise de côté, à l'extérieur du village lorsque s'est créée la communauté. De cette manière, elle représentait un peu la menace de la Société extérieure à la communauté: la cupidité, l’égoïsme, la violence, l'inégalité, etc. Et lorsque les villageois la font pénétrer dans le village, c'est un peu comme s'ils achevaient de réintégrer ces notions en eux, faisant ainsi imploser la communauté.
Quand au lien qui unie la bête et l'enfant, il est plus difficile à interpréter. On peut imaginer malgré tout que les deux sont liés comme le sont intimement l'innocence et la perversion en nous, et qu'avoir accueilli la première dans le village, fait qu'automatiquement la seconde va suivre. L'un ne va pas sans l'autre. On peut d'ailleurs constater que lorsqu'à la fin l'enfant rejoint une autre communauté, la bête, pourtant laissée pour morte, semble l'avoir suivi...
(c) Díaz Canales / Munuera / Dargaud |
Pour le reste, la partie graphique est à la hauteur du précédent tome, là aussi avec un climax matérialisé par une superbe double page illustrant la bête sur le clocher du village. Les planches sont superbes, on a le droit à de nombreuses grandes cases, pour le plus grand plaisir de nos mirettes. Munuera est définitivement entré dans la cour des grands pour moi. La mise en couleur n'est pas en reste, là encore elle apporte son appui à l'ambiance, par des tons sombres, des atmosphères troubles, embrumées...
En résumé:Une série qu'il serait bon d'acquérir d'un bloc pour en apprécier la substance, en partant du principe que sa lecture n'apportera pas toutes les réponses aux questions soulevées. Les auteurs nous laissent libres de notre interprétation, et c'est finalement assez peu courant dans la BD mainstream. Si Dargaud réunit un jour le tout en une intégrale, ça sera parfait !
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